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La Plume qui démange
Faut-il renoncer à apprendre à écrire à la main ?
À l’heure où il se chuchote dans les couloirs qu’un groupe de politiciennes et politiciens s’apprêteraient à lancer une motion visant à l’abandon de l’enseignement de l’écriture manuscrite au profit du clavier, les pédagogues montent aux barricades qui pour hurler au blasphème, qui pour applaudir à cette avancée indispensable.
« Même la liste de commissions est gérée sur nos téléphones mobiles ! » Le constat est imparable. Toutefois, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui invoquent « une décision potentiellement irresponsable ». C’est que l’enjeu ne se situe pas exclusivement au niveau de l’écriture, mais de son corollaire : l’aptitude à la lecture et son acquisition.
À en croire les fidèles de l’écriture manuscrite, celle-ci serait seule à même de faciliter l’apprentissage de la lecture. Ils appuient leurs propos en vantant les succès de l’école Montessori connue pour son slogan : « L’acte de lire découle de l’acte d’écrire ». Selon cette méthode, en calligraphiant un mot dans son entier, le jeune enfant l’enregistre comme une entité distincte, ce que n’offre pas la frappe au clavier, laquelle n’est finalement qu’une façon d’épeler… avec les doigts.
La question qui se pose est de savoir ce que nous perdrions en cas d’abandon de la graphie manuscrite. C’est au niveau des processus de mémorisation que cela se joue. Un enfant qui apprend à dessiner une lettre associe sa forme visuelle avec le mouvement qui permet de l’écrire. Ainsi, à chaque lettre correspond un mouvement bien spécifique. Ce qui n’est pas le cas avec la frappe typographique où il s’agit d’atteindre un point certes bien précis du clavier, mais qui peut être atteint par des gestes distincts. Or, de nombreuses études ont démontré que l’identification des lettres passe autant par la mémoire du geste que par la mémoire visuelle. « Ceci expliquerait pourquoi des enfants ayant appris à lire et à écrire avec un clavier les reconnaissent moins bien par la suite » affirme le professeur en neurosciences Jean-Luc Velay, chercheur au CNRS.
Malgré ce constat, il relativise et précise que les crispations autour de la question proviennent avant tout « d’un attachement affectif à l’écriture manuscrite, celle que nous avons apprise ». L’abandon de l’écriture à la main choque encore et apparaît prématuré. A n’en pas douter, le débat ne fait que commencer.